» Sauvons la diversité !  » l’escape game pédagogique du Laü

Escape Game, kesako ?

Dérivés d’un genre du jeu vidéo, dont le principe repose sur la résolution d’énigme au sein de différents « tableaux », les escape games tels que nous les connaissons aujourd’hui ont été inventés au japon en 2007, en transposant ce concept vidéoludique au sein d’un espace bien réel. Plongés au sein d’un monde imaginaire et d’un scénario inédit, les participants doivent faire équipe pour résoudre les énigmes nécessaires à leur « évasion»  avant la fin du temps imparti.

S’ils sont aujourd’hui si populaires, sans doute est-ce parce que la recette des escape-games repose sur des mécaniques de jeu aussi efficaces que stimulantes : fouille de la pièce pour la récupération d’indices, coopération pour la résolution des énigmes, immersion dans un monde imaginaire pour y incarner des personnages investis d’une mission …

Autant d’éléments qui, au-delà de leur aspect ludique, se révèlent d’excellents leviers sur lesquels s’appuyer dans une perspective pédagogique, notamment dans un cadre d’éducation populaire. En invitant les participants à prendre une place d’acteur du jeu en autonomie mais dans le cadre de stratégies fondées à la fois sur les ressources individuelles et sur la base d’une coopération, on s’inscrit facilement dans une couleur d’éducation populaire, nourrie de l’émulation et de la solidarité du groupe.

C’est dans cette optique que la M.J.C. du Laü a imaginé réaliser un escape game sur la thématique de la laïcité, en reprenant les bases de celui imaginé par la région Rhones-Alpes.

Pensé comme un outil pédagogique à destination des animateurs souhaitant introduire auprès des plus jeunes les notions de laïcité et des valeurs de la république, il se fait le préambule d’une série de modules éducatifs dédiés à ces thématiques, dont nous vous parlions il y a peu.

Répondre à une demande essentielle

Depuis quelques années déjà, la M.J.C. du Laü propose aux professionnels et bénévoles en contact avec les jeunes publics dans le cadre de leur mission, de suivre la formation « Valeurs de la république et laïcité ». Pensée pour expliquer de façon aussi accessible que précise l’histoire et les contenus de cette notion ainsi que la façon dont elle est concrètement pensée et mise en place aujourd’hui, cette formation s’inscrit dans le cadre d’une mission officielle de l’État. Cependant, bien qu’elle soit jugée très riche et pertinente (au vue des nombreux retours très positifs de ses participants), elle ne suffisait pas en soi à répondre de façon pratique aux problématiques rencontrées par les professionnels sur le terrain. Quel que soit leur champ d’action auprès des jeunes, ces derniers faisaient état de leurs difficultés à aborder la laïcité et ses sujets connexes, tels que l’identité, la pluralité des croyances, la différence entre le croire et le savoir, auprès de ces publics. En effet, au delà des connaissances essentielles (apports théoriques et études de situations pratiques) apportées sur le sujet par la formation, les professionnels recherchaient aussi un outil pédagogique accessible et efficace à même de construire une réflexion auprès des jeunes sur le sujet.

C’est dans cette perspective qu’a été entamé un travail de fond , mené par la M.J.C. du Laü, afin d’élaborer des outils pédagogiques pertinents, éprouvés sur le terrain et pensés pour être facilement accessibles et pris en main par les professionnels ayant suivi la formation.

Résultante de ce travail, un module de 6 séances pédagogiques a été conçu, dont la première repose sur un escape game au titre évocateur : « Sauvons la diversité ! »

Concevoir un escape game  

« Un savant fou projette d’annihiler tout ce qui fait la diversité des individus, pour créer un monde uniforme où nous serions tous semblables. Après de nombreux essais infructueux visant à enrayer ce projet diabolique, le ministère de la diversité a fait appel à vous, les plus rusés des scientifiques, dans l’espoir que vous puissiez sauver la diversité de l’humanité ! Vous devez absolument trouver le vaccin pour rendre au monde et à ses habitants la richesse de ses différences ! trouvez la formule, vous êtes notre dernier espoir ! »…  Voici le pitch introductif qui est lu aux jeunes participants (9-12 ans) de l’escape game alors qu’ils viennent de revêtir leur blouse blanche de scientifique pour rentrer dans la peau de leur personnage.

Introduits  dans une salle décorée en laboratoire, les « jeunes scientifiques » vont alors s’organiser pour trouver les éléments cachés, résoudre les énigmes et mettre à jour les différents ingrédients nécessaires à la réalisation du vaccin contre l’uniformisation.

« Tous ces éléments participent à l’immersion dans jeu et permettent de plonger les enfant dans la peau de leur personnage ! » explique Eva Villain, actuellement en stage de 14 mois à la M.J.C. Supervisée par son maître de stage Miguel Manjon, chargé du développement de notre structure, elle a longuement planché sur l’élaboration de cet « escape game », notamment par de nombreux essais sur le terrain, au sein d’accueil collectif de mineurs. « Il n’y a pas meilleur moyen pour éprouver une animation « , affirme-t-elle.

« Nous somme partis d’un escape game déjà existant dont nous avons repris les grandes lignes et les énigmes tout en réfléchissant à la manière de le faire évoluer de façon à ce qu’il réponde à nos objectifs pédagogiques, établis dans une perspective d’éducation populaire.

Le fond avant la forme

« C’est après avoir joué au jeu original avec les enfants d’un centre de loisirs que nous avons apposés les premiers ajustements  » explique Eva. En effet, nos premières expérimentations avaient le mérite de séduire d’emblée les participants et de les impliquer dans le déroulement mais elles donnaient finalement l’impression que le thème de la laïcité pouvait se retrouver en second plan par rapport au contenu ludique. Le sujet n’était abordé dans le fond, qu’en fin de séance et surtout de manière descendante, voire dogmatique :  » je me contentais de donner un « micro cours » sur les principes de la laïcité « … Tout l’inverse de ce que nous visions. Bien que l’aspect ludique de cet escape game soit pertinent puisqu’il implique directement les joueurs, notre premier objectif reste de transmettre un savoir, en fondant cette transmission sur une réflexion partagée et surtout construite à partir des retours et interventions des enfants. En bref, nous avons veillé à ce que la forme ne prenne pas le pas sur le fond ! 

En soi un escape game offre déjà des ressorts intéressants: l’immersion bien sûr mais aussi la recherche d’indices qui stimule l’esprit et la résolution d’énigmes, qui appelle à la coopération et au travail d’équipe. Nous avons donc commencé par supprimer des éléments du jeu original qui nous paraissaient superflus. Nous avons ensuite réfléchi à rajouter des étapes pour structurer le déroulé comme nous l’entendions, notamment en expliquant le cadre des règles du jeu en début de partie : les participants sont libres d’aborder les différentes énigmes dans l’ordre qu’ils souhaitent et de la manière qu’ils le veulent. Nous les laissons ainsi s’organiser eux-mêmes en équipes de 2 ou 3, ils peuvent changer de fonctionnement tout au long de la partie. Cela met ainsi à contribution leur autonomie, leur capacité d’adaptation et l’esprit participatif. De même, à chaque énigme résolue, nous réunissons le groupe autour d’une table centrale. De cette façon, nous commençons par échanger sur les ressorts qui ont permis la résolution de l’énigme avant de passer à une réflexion partagée : chaque enfant peut s’exprimer sur ce qu’il connaît de la notion et nous en discutons ensemble. Une approche basée sur l’interactivité, à la fois gratifiante pour les enfants et fondée sur leurs interventions, pensée pour « augmenter leur pouvoir d’agir » à travers l’autonomie, les échanges et leur esprit critique. Le temps final, qui conclut le jeu, permet quant-à lui, de revoir ensemble tout ce qui a été abordé. Des éléments et modifications qui peuvent paraitre subtils mais se révèlent au final déterminants en donnant à cette petite expérience sociale une véritable couleur d’Educ-Pop’.

Une élaboration façon  » Educ-Pop’   »

 » Élaborer ce jeu au fil des essais sur le terrain s’est révélé une expérience très enrichissante « , se souvient Eva. J’ai essayé de penser comme un enfant, d’adopter leur regard très curieux sur le monde, leur ouverture d’esprit.

Comme le rapportent les autres professionnels qui ont suivi la formation V.R.L., je n’étais auparavant moi-même pas très à l’aise à l’idée d’aborder la laïcité en tant qu’animatrice. D’abord car c’est un sujet considéré comme « glissant », ensuite car je ne le maîtrisais pas forcément, notamment dans ses tenants et aboutissants. Ce qui est paradoxal, c’est que j’ai eu de nombreux retours d’enfants me confiant qu’ils avaient vraiment envie de parler de ces thèmes. Comprendre la différence entre la nationalité, le pays d’origine, la culture, la religion, les croyances et le savoirs les passionnent, car ils se questionnent énormément sur ces sujets et malheureusement, ce n’est pas quelque chose qui est abordé et traité dans l’éducation. L’ensemble de ces retours nous ont permis d’ajuster les contours de ce jeu et de ses modules complémentaires en fonctions de nos objectifs pédagogiques.

A un autre niveau, nous avons bénéficié des retours des animateurs ou directeurs des structures qui nous accueillaient et qui assistaient à ces séances. Un apport très précieux où la réflexion collective s’est montrée efficace dans l’élaboration d’un projet, c’est une émulsion partagée, sur un temps long de réflexion et d’ajustements, qui donne à voir ses fruits.

Un outil pensé pour être pris en main et partagé.

Après avoir présenté cet outil aux professionnels de l’animation, nous sommes actuellement en train de construire sa mise en partage sur la plateforme numérique de « La fabrique d’Educ-Pop' ». L’idée est que les participants aux formations V.R.L. puissent l’adopter facilement : nous proposerons une fiche numérique et une vidéo détaillant sa mise en place et son déroulé, ainsi que le matériel qu’il nécessite, de façon à rendre cet outil accessible dans sa prise en main et abordable financièrement (les éléments nécessaires à son décor peuvent être fabriqués, récupérés ou achetés à prix raisonnable). L’objectif le plus important de ce projet, autour duquel s’est déroulé mon stage, reste de voir cet outil adopté par le plus grand nombre de professionnels au sortir de leur formation, un signe de sa réussite, auprès des jeunes et de leurs animateurs.